Le rapport Finance islamique : opportunités, défis et options stratégiques, rendu public le 6 avril dernier, a montré à quel point les instances internationales de l'économie néolibérale, le Fonds monétaire international (FMI) au premier chef, s'intéressaient de près à la finance islamique.
Bien que la présence de la finance islamique ne soit pas encore tout à fait significative en Afrique subsaharienne, plusieurs éléments annonciateurs de ce début d’année 2015 permettent d’envisager l'apparition prochaine d’instruments financiers qui pourraient soutenir les PME et les activités de micro-crédit sur le continent africain.
Le 17 mars dernier, l’agence Reuters rapportait que la Côte d’Ivoire et le Nigeria avaient lancé des négociations avec la Société islamique de développement du secteur privé (SID) qui est une filiale de la Banque islamique de développement (BID) dans le but de favoriser l’émission de sukuks (emprunts islamiques).
La Tunisie a, elle aussi, annoncé son intention d’émission d’un sukuk de 264 millions de dollars (245 millions d’euros) au troisième trimestre 2015. Quant à l’Égypte, elle souhaite en faire autant dans un futur assez proche.
La SID a également annoncé que le Niger souhaite, lui aussi, émettre des sukuks pour une valeur de 150 milliards de francs CFA (près de 230 millions d’euros). Le Niger se positionne à la suite du Sénégal et de l’Afrique du Sud qui ont initié l’émission de sukuks souverains en 2014.
Le Sénégal souhaite renouveler l’expérience, après avoir mobilisé via son sukuk souverain, en 2014, 100 milliards de CFA et après avoir été primé meilleur projet africain 2015 pour la finance islamique. Le président sénégalais Macky Sall a indiqué s’être rapproché de la Banque islamique de développement (BID), afin de réaliser un deuxième sukuk permettant de mobiliser les ressources nécessaires au financement du plan « Sénégal émergent », qui prévoit des projets stratégiques comme la ligne de train express régional entre Dakar et le nouvel aéroport de Diass.
Les banques islamiques du Golfe sur les starting-blocks
La finance islamique est très dynamique en Afrique, d’après M. Thursby, directeur général du groupe de la National Bank of Abu Dhabi, première banque mondiale en matière de gestion des émissions de sukuks, le marché international de sukuks va devenir une source de plus en plus courante pour le financement des économies islamiques et non islamiques. Il estime que l’industrie de la finance islamique devrait doubler au cours des cinq prochaines années.
Au Maroc, un dahir royal a été publié au Bulletin officiel, le 16 février dernier, en vue de compléter la loi sur les banques participatives. Le texte porte sur la création d’un sharia board central, commission composée de neuf jurisconsultes placés sous la tutelle directe du Conseil supérieur des oulémas, qui sera chargé de superviser et de contrôler la conformité des opérations des banques participatives aux règles de la finance islamique.
Les banques islamiques du Golfe se présentent aux portes du royaume chérifien dans le but d’obtenir un agrément afin d’y implanter leurs filiales. A ce jour ont déposé une demande d’agrément auprès de la Banque centrale marocaine (Bank Al Maghrib) : la Banque d’investissement koweïtienne, la Faisal Islamic Bank ; la Banque islamique internationale du Qatar ; ou encore la Kuwait Investment House Holding. Par ailleurs, des banques marocaines telles que la Banque centrale populaire (BCP), Attijariwafa ou encore la Banque marocaine de commerce extérieur (BMCE) avaient déjà annoncé la création de filiales islamiques.
Rappelons que le Soudan avait été le premier pays africain, en 2007, à procéder à une émission de sukuk pour un montant de 130 millions de dollars (121 millions d’euros). Depuis la finance islamique a fait des émules. Sur le plan international, les actifs financiers islamiques ont doublé en 5 ans, passant de 800 milliards de dollars en 2010 (744 milliards d’euros) à 1 800 milliards de dollars en 2013 (1 674 milliards d’euros). Cependant, moins de 5 % des actifs de la finance participative se trouvent en Afrique, alors que l’on compte 400 millions de musulmans africains sur les quelque 1,6 milliard de musulmans dénombrés dans le monde.
Avec l’arrivée de nouveaux acteurs, on peut espérer un appel d’air en termes de création d’emplois, de financement de l’économie et d’augmentation du taux de bancarisation de la population du continent africain.
Un bel avenir en Algérie
D’après l’Association professionnelle des banques et des établissements financiers, le secteur bancaire algérien en 2012 comptait 20 banques, 5 sociétés de leasing et 4 établissements financiers. En total de bilans cumulés, ces établissements représentent 10 059 Mds DZD (83 Mds €) et emploient près de 40 000 personnes. Inutile de préciser que le secteur public domine largement le secteur avec 90 % du marché. Les banques islamiques et autres institutions privées se partageant les 10 % restants. On distingue selon l’importance de leur activité financière, les banques dont l’activité est exclusivement islamique et celles qui exercent une activité conventionnelle et qui disposent de « fenêtres » islamiques.
L’arrivée de la première banque islamique d’Algérie, Al Baraka, coïncide avec le vote de la loi sur la monnaie et le crédit du 14 avril 1990 mettant fin au monopole d’État. Son arrivée sur le marché fut le résultat d’un rapprochement entre la Banque de l’Agriculture et du Développement Rural (BADR) et le groupe Al Baraka en la personne de son président, le Cheikh Salah Abdallah Kamel. Forte d’une présence de plus de vingt ans sur le sol algérien, Al Baraka détient aujourd’hui 2 % du marché global et près de 15 % du marché bancaire privé. C’est la première banque islamique du pays. Les statuts de la banque prévoient de contribuer à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans cette optique de solidarité, la banque a signé une convention en 2006 avec le ministère des Affaires religieuses afin de gérer, bénévolement, un dispositif permettant de distribuer des prêts non rémunérés finançant la création de micro-entreprises par des promoteurs démunis.
À la fin 2011, le nombre des micro-projets financés par ce dispositif dépassait les 4 000 selon Nasser Hideur Secrétaire général de la banque pour un montant cumulé de 762,2 millions de DA. Agréée en 2008, Al Salam Bank Algeria, deuxième banque islamique du pays, est le fruit d’une coopération émiratie et algérienne. Les services offerts s’adressent aux entreprises ainsi qu’aux particuliers avec la mise à disposition d’offres de financements et d’épargne et de tous les services qu’une banque peut offrir à ses clients.
L’Algeria Gulf Bank (AGB) a été créée le 15 décembre 2003, par l’apport de trois banques (Burganbank, Jordan Kuweitbank et Tunis international bank), leaders sur leurs marchés, appartenant au groupe Kuwait Project Company (KIPCO).
La banque propose des solutions de financements conventionnels et islamiques. En 2013, 22 % des crédits octroyés étaient islamiques. La Trust Bank Algeria a lancé une Islamic window et propose à ses clients une solution de financement murabaha (voir glossaire p. 48) ainsi qu’un compte d’épargne participatif permettant à la banque de partager ses gains avec ses clients. Une offre qui devrait s’étendre rapidement aux banques conventionnelles. Malgré l’absence d’un cadre légal et réglementaire spécifique, les institutions financières algériennes proposant des solutions financières islamiques ont su apporter la preuve de la viabilité de ce modèle ainsi que son utilité.
En effet, les banques islamiques permettent d’accroître le taux de bancarisation de la population et contribuent au financement de l’économie. La demande pour ces solutions est tellement forte qu’elle pousse de grands acteurs conventionnels à les proposer. L’Agence Ecofin rapportait en décembre dernier que la filiale algérienne du groupe bancaire français BNP Paribas, BNP Paribas El Djazaïr lançait son offre islamique, avec l’Ijara et le compte El Badil. « Nous attendons l’accord de la Banque d’Algérie, pour la mise sur le marché », confirmait son directeur général, Pascal Fevre.