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Opération séduction pour la finance islamique
17 septembre 2015

L’économie mondiale halal est en plein essor, sur de multiples secteurs tels que l’alimentation, la mode, les médias, le tourisme, les cosmétiques, la médecine ou encore les services financiers. La finance islamique, qui en est l’expression majeure, connaît un essor exponentiel de ses actifs. Ils n’étaient que de 150 millions de dollars en 1995 et sont aujourd’hui passés à plus de 2000 milliards de dollars. A elles deux, elles devraient atteindre 6500 milliards de dollars à l’horizon 2020.

Le concept d’économie islamique est né vers la fin des années 40 pour promouvoir un ordre économique conforme aux textes et traditions de l’Islam, ouvrant une autre voie qui ne soit ni capitaliste ni socialiste. D’abord théorique, cette vision d’une nouvelle économie trouve une application pratique dans les années 1970 avec le développement d’un système bancaire jetant les bases d’une « finance islamique ».

 

En 1975, l’OCI (organisation de la conférence islamique) crée la Banque Islamique du Développement (BID), ouvrant la voie à de multiples initiatives publiques et privées dans les pays musulmans, notamment à Dubai, au Koweit, en Malaisie, au Soudan, en Iran, au Pakistan. En 1992, l'AAOIFI (Accounting and AuditingOrganization for Islamic Financial Institutions) est créée à Alger, puis déplacée à Bahrein. Cette institution a joué un rôle important dans l’expansion de la finance islamique en mettant en place des normes communes.

 

La finance islamique représente aujourd’hui moins de 2% du secteur financier mondial, avec plus de 2000 milliards d’euros d’actifs. Mais sa réserve de croissance est considérable : seuls 40 millions des 1.6 milliards de musulmans en sont aujourd’hui clients. Le Fonds monétaire international (FMI) y a consacré un rapport, qui estime que les actifs des institutions financières islamiques ont été multipliés par 9 entre 2003 et 2013.

La conformité à l’Islam

« La mission principale de l'économie et de la finance islamiques ne peut pas être différente de celle de l'Islam lui-même », souligne le Dr Umer Chapra conseiller principal à l'Institut de Recherche et de Formation Islamique (IRTI) de la Banque Islamique de Développement (BID) à Djeddah. Ainsi, tous les secteurs de la société, politique et économique, sont tenus d’assurer la justice et le bien-être réel de toutes les femmes et tous les hommes vivant sur terre. Compartiment de la finance éthique, la finance islamique recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes à la loi musulmane.

Comme le Coran, elle repose sur 5 piliers propres : l’interdiction de l’intérêt, la prohibition de la réalisation d’investissements aléatoires et incertains, la spéculation hasardeuse, l’obligation de partager les pertes et profits et l’obligation d’investir exclusivement dans l’économie réelle et tangible. A ces règles, s’ajoute l’exclusion de certains secteurs d’investissement jugés nocifs à la vie humaine : comme celui du tabac, de l’alcool, de la pornographie, de l’armement et des jeux d’argent.

Au printemps dernier, le Fonds monétaire international (FMI) rapport intitulé « Finance Islamique : « Opportunités, défis et options stratégiques ». Il indique que bien que des normes spécifiques aient été élaborées par des organismes de normalisation spécialisés, les cadres réglementaires et de surveillance dans de nombreuses juridictions ne répondaient pas encore aux risques de l'industrie. Dans ce contexte, le FMI a suggéré aux institutions financières islamiques d’harmoniser leurs pratiques au vu des divergences existantes entre les écoles juridiques musulmanes dans l’interprétation des sources du droit musulman. Cette question donne lieu à débat. Ces divergences d’interprétation dans les textes sont minoritaires car, dans l’ensemble, les solutions adoptées par l’industrie sont consensuelles.

Une uniformisation totale pourrait freiner l’innovation dans l’industrie ce qui contribuerait à rendre le secteur moins dynamique. Le rapport du FMI reconnaît cependant que la finance islamique peut promouvoir la stabilité sur le plan macro-économique, et cela, en raison du fait qu’elle interdit la spéculation et remplace le système du crédit à intérêts (ribâ) par une logique d’échange (ijara, istisna, salam) ou de partage des risques (musharaka, mudaraba) et qu’elle est en mesure de les combiner afin d’assurer le financement de l’économie (sukuk, takaful).

Un fort développement en Afrique

Lorsque l’on constate le dynamisme de l’industrie, notamment en Afrique, on comprend mieux pour quelles raisons le FMI s’y intéresse… La finance islamique apporte des sources de financement alternatives qui pourraient remettre en cause l’hégémonie du Fonds monétaire international. En effet, les pays africains sont lourdement endettés et les solutions offertes par la finance islamique peuvent contribuer à leur développement et d’enrayer la spirale infernale de la dette et des intérêts.

C’est pour cela que, d’après l’agence Reuters, la Côte d’Ivoire et le Nigeria ont lancé des négociations avec la Société islamique de développement du secteur privé (SID) qui est une filiale de la Banque islamique de développement (BID) dans le but de favoriser l’émission de sukuks. La Tunisie a elle aussi annoncé son intention d’émission d’un sukuk de 264 millions de dollars (245 millions d’euros) au troisième trimestre 2015.

 

Quant à l’Egypte elle souhaite en faire autant dans un futur assez proche. La SID a également annoncé que le Niger souhaite lui aussi émettre des sukuks pour une valeur de 150 milliards de francs CFA (près de 230 millions d’euros). Le Sénégal a mobilisé, en 2014, 100 milliards de CFA et a été primé meilleur projet africain 2015 pour la finance islamique. Le pays souhaite renouveler l’expérience pour financer le Plan Sénégal Émergent qui prévoit des projets stratégiques comme la ligne de train express régional entre Dakar et le nouvel aéroport de Diass.

 

D’après M. Thursby, directeur général du groupe de la National Bank of Abu Dhabi, première banque mondiale en matière de gestion des émissions de sukuk, le marché international de sukuk va devenir une source de plus en plus courante pour le financement des économies islamiques et non-islamiques. Il estime que l’industrie de la finance islamique devrait doubler au cours des cinq prochaines années.

 

Le Maroc est entré dans cette course à la finance islamique. Un dahir royal a été publié le 16 février dernier en vue de compléter la loi sur les banques participatives. Le texte porte sur la création d’un Shariah Board central, commission composée de neuf jurisconsultes placés sous la tutelle directe du Conseil supérieur des oulémas, qui sera chargé de superviser et de contrôler la conformité des opérations des banques participatives aux règles de la finance islamique.

 

Dans les faits, les banques islamiques du Golfe se présentent aux portes du Royaume chérifien afin d’y implanter leurs filiales. Par ailleurs, des banques marocaines telles que la Banque Centrale Populaire (BCP), Attijariwafa ou encore la Banque Marocaine de Commerce Extérieur (BMCE), ont déjà annoncé la création de filiales islamiques.

En Asie et en Europe aussi

En Asie, Hong Kong cherche à se positionner comme une place financière de premier choix pour la finance islamique et à capitaliser sur la croissance des liens commerciaux entre la Chine et le Moyen-Orient. Les États asiatiques, comme les États africains, cherchent à attirer les investisseurs musulmans extérieurs. Il existe en effet de nombreux investisseurs du Moyen-Orient à la recherche de diversification et de nouvelles opportunités d’investissement qui avaient plutôt tendance jusqu’à présent à investir en Europe ou aux États-Unis.

En Europe continentale, la première banque islamique vient de voir le jour : la banque islamique turque Kuveyt Türk Bank a obtenu l’autorisation d’opérer de l’autorité de régulation bancaire allemande (Bafin). La banque projette d’ouvrir des agences dans les trois villes allemandes ayant une forte population turque (Berlin, Francfort et Cologne). L’Allemagne compte plus de 4 millions de musulmans et le marché allemand est évalué par les analystes à plus d’un milliard d’euros.

En Grande-Bretagne, une consultation publique lancée en avril dernier a révélé une demande réelle pour des financements « Shariah -compatibles » destinés aux étudiants de l'enseignement supérieur. Le gouvernement britannique a décidé de conduire une étude de faisabilité et il est possible qu’un financement alternatif fidèle au droit musulman puisse voir le jour en 2016.

Pour le premier ministre du Luxembourg, M. Xavier Bettel, il est nécessaire d’explorer l’avenir de la finance et de l’économie islamique et la place luxembourgeoise a été la première à coter un sak en Europe dès 2002.

La France pourrait être le second marché mondial du takaful

Un marché prometteur en France Avec une fourchette comprise entre 2,1 et 5 millions de musulmans, dont deux millions seraient de nationalité française, la France compte plus de musulmans que le Liban, le Koweït, le Qatar, Bahreïn, les Émirats arabes unis, la Palestine, les Îles Comores ou même Djibouti. La France est le premier pays européen par l’importance de sa communauté musulmane et le demeurera puisque d’après le PewResearch Center ils représenteront 10 % de la population à horizon 2030.

 

 

Non contente de disposer d’une cible confessionnelle conséquente, la France serait le pays européen où les musulmans sont les mieux pourvus en comptes bancaires. Avec 41 % de Français musulmans « pratiquants», selon l’institut de sondage Ifop, la cible de clientèle susceptible d’être intéressée par la finance islamique représenterait plus de deux millions de clients potentiels. De quoi s’intéresser à ce marché encore balbutiant ! Un acteur en mesure d’offrir des produits conformes et performants aurait ainsi de belles perspectives de développement.

 

 

L’adoption en juillet 2010, à l’initiative de Christine Lagarde, d’instructions fiscales destinées à ne pas pénaliser les opérations de finance islamique par rapport aux opérations conventionnelles, a permis en outre d’accélérer le développement d’un marché qui ne semble attendre que cela. A ces conditions particulièrement propices à l’essor de la finance islamique, on peut ajouter le fait que le droit des assurances prévoit des statuts parfaitement compatibles avec les principes du takaful sans qu’il soit nécessaire de légiférer au d’amender.

 

 

La France est, d’après la revue SIGMA, le cinquième marché mondial de l’assurance avec un taux de pénétration de presque 10 %. Le rapport annuel 2014 de la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurances) fait état de 200 milliards d’euros de cotisations tous marchés confondus en France.

Avec 94 % de personnes prêtes à souscrire si des acteurs sont en mesure d’offrir des produits compétitifs, le takaful pourrait peser 1 200 millions d’euros de cotisations en assurance-automobile, 600 millions d’euros en assurance-habitation et 1 700 millions d’euros en assurance-vie, soit 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur ces trois branches. En ne captant que 1,75 % du marché français de l’assurance, la France pourrait devenir ainsi le second marché mondial du takaful qui représentait d’après Ernst and Young un montant total de 11 milliards d’euros en 2014.

 

 

Cette prise de leadership sur le marché du takaful peut permettre de se différencier des places londonienne et luxembourgeoise qui ont fait le choix d’émettre des sukuk souverains afin d’attirer les investisseurs moyen-orientaux. C’est probablement pour toutes ces raisons que la Banque centrale européenne a estimé dans un rapport paru en juin 2013 que la finance islamique semblait avoir un bon potentiel à développer en France.

 

 

Malgré tout, du côté de l’offre, les produits proposés sont limités : une seule banque aujourd’hui réalise des opérations de financement Charia-compatible. La Banque Chaabi, filiale française de la banque marocaine, propose une solution de financement immobilier Murabaha et une convention de compte de dépôt. Concernant l’assurance, il n’y a pas de solutions takaful-dommages (assurances de biens et de responsabilités). Seules existent des solutions takaful-famille (assurances de personnes).

Un marché prometteur en France Avec une fourchette comprise entre 2,1 et 5 millions de musulmans, dont deux millions seraient de nationalité française, la France compte plus de musulmans que le Liban, le Koweït, le Qatar, Bahreïn, les Émirats arabes unis, la Palestine, les Îles Comores ou même Djibouti. La France est le premier pays européen par l’importance de sa communauté musulmane et le demeurera puisque d’après le PewResearch Center ils représenteront 10 % de la population à horizon 2030.

Non contente de disposer d’une cible confessionnelle conséquente, la France serait le pays européen où les musulmans sont les mieux pourvus en comptes bancaires. Avec 41 % de Français musulmans « pratiquants», selon l’institut de sondage Ifop, la cible de clientèle susceptible d’être intéressée par la finance islamique représenterait plus de deux millions de clients potentiels. De quoi s’intéresser à ce marché encore balbutiant ! Un acteur en mesure d’offrir des produits conformes et performants aurait ainsi de belles perspectives de développement.

L’adoption en juillet 2010, à l’initiative de Christine Lagarde, d’instructions fiscales destinées à ne pas pénaliser les opérations de finance islamique par rapport aux opérations conventionnelles, a permis en outre d’accélérer le développement d’un marché qui ne semble attendre que cela. A ces conditions particulièrement propices à l’essor de la finance islamique, on peut ajouter le fait que le droit des assurances prévoit des statuts parfaitement compatibles avec les principes du takaful sans qu’il soit nécessaire de légiférer au d’amender.

La France est, d’après la revue SIGMA, le cinquième marché mondial de l’assurance avec un taux de pénétration de presque 10 %. Le rapport annuel 2014 de la FFSA (Fédération française des sociétés d’assurances) fait état de 200 milliards d’euros de cotisations tous marchés confondus en France.

Avec 94 % de personnes prêtes à souscrire si des acteurs sont en mesure d’offrir des produits compétitifs, le takaful pourrait peser 1 200 millions d’euros de cotisations en assurance-automobile, 600 millions d’euros en assurance-habitation et 1 700 millions d’euros en assurance-vie, soit 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur ces trois branches. En ne captant que 1,75 % du marché français de l’assurance, la France pourrait devenir ainsi le second marché mondial du takaful qui représentait d’après Ernst and Young un montant total de 11 milliards d’euros en 2014.

Cette prise de leadership sur le marché du takaful peut permettre de se différencier des places londonienne et luxembourgeoise qui ont fait le choix d’émettre des sukuk souverains afin d’attirer les investisseurs moyen-orientaux. C’est probablement pour toutes ces raisons que la Banque centrale européenne a estimé dans un rapport paru en juin 2013 que la finance islamique semblait avoir un bon potentiel à développer en France.

Des sukuk souverains pour booster le marché

L’administration fiscale a publié une instruction, le 23 juillet 2010, décrivant les principales caractéristiques des sukuks et les conditions permettant de bénéficier d’un régime fiscal neutre par rapport aux obligations conventionnelles. Selon l’Agence France Trésor, les besoins de financement de la France en 2015 s’élèvent à 192,3 milliards d’euros, couverts pour l’essentiel par 187 milliards d’emprunts et complétés par des ressources annexes.

 

Peut-on envisager que la France puisse un jour en faire autant que le Royaume-Uni ou le Luxembourg en émettant un sukuk souverain ? Sans doute pas tant que le taux moyen des emprunts à moyen et long terme s’établira à en dessous des 1 % (0,46 % en avril 2015), un plus bas taux historique et que l’État français arrivera à trouver des investisseurs pour financer son déficit. Cependant lorsque l’on observe l’évolution de la dette française et ce, qu’elle représente par rapport au PIB (93,5 %), on peut légitimement penser que cela ne durera pas éternellement. Il pourrait être judicieux d’anticiper le jour où les sources de financement viendront à se tarir à l’instar de nos voisins britanniques et luxembourgeois.